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Le Hijab Day à Sciences Po
ou comment vider le voile de son sens religieux pour faire le buzz
Mercredi 20 avril, petit déjeuner devant mon ordinateur. Je tombe sur un poste parlant du Hijab day à Sciences Po. Je crois d'abord à une blague provenant d'un site d'extrême droite dans le but de faire un buzz nauséabond. Mais non, la source de l'article est Le Point.
Interloquée, je cherche une autre source. Une info toute fraîche de BFM confirme la première http://www.bfmtv.com/societe/des-etudiants-de-sciences-po-paris-organisent-un-hijab-day-968063.html
Il semblerait donc que toutes les femmes de Sciences Po soient invitées à se couvrir les cheveux aujourd'hui pour "démystifier le tissu" dixit Le Point et cesser de stigmatiser les musulmanes qui font le choix de le porter. Et là, l'historienne de la Femme et de la sexualité que je suis grince très fort des dents, mais vraiment très fort.
L'analyse que je fais d'un tel événement n'est pas politique, mais historique. Que les femmes musulmanes qui portent le voile ne veuillent pas être stigmatisées, je le comprends, je trouve cela normal. Cela s'appelle le respect. Mais couvrir pendant une journée les cheveux des petites bourgeoises venant de familles à dominante catholique de Sciences Po me laisse pantoise.
Je m'explique. Demander à des non musulmanes de porter le voile dans un pays laïc, dans une école de la République qui plus est, signifie vider le voile de son sens religieux pour en faire une provocation entre les mains d'étudiants immatures. Imaginons que je sois étudiante à Sciences Po et que je débarque ce matin en cours en tenue de dominicaine, cheveux couverts, sans être entrée dans les ordres. C'est au mieux ridicule, au pire, insultant pour celles qui décident de servir Dieu. Porter le hijab sans être musulmane en France relève de la même idée. Se couvrir les cheveux pour visiter une mosquée en Egypte ou au Maroc, je l'ai déjà fait et je trouve cela normal, mais Sciences Po n'est par un édifice religieux et la France est un pays laïc. Ce Hijab Day à Sciences Po s'apparente donc à un non sens religieux et social dangereusement puéril de la part de ces étudiants.
Revenons à présent aux origines, pas du hijab, mais du voile tout court dont la femme qui se veut respectable depuis la Grèce et la Rome antiques se couvre les cheveux. Le voile n'a jamais eu d'autre signification que de dire "Je ne suis pas disponible sexuellement". C'est un outil que les sociétés patriarcales ont mis en place pour signifier de façon claire l'infériorité de la femme par rapport à l'homme. Elle se réduit dès lors à un objet de reproduction ou de plaisir sexuel. Les religions monothéistes ont repris largement cette idée en lui conférant un vernis dogmatique. On couvre ses cheveux pour réduire ou annihiler le pouvoir de séduction de la chevelure féminine. Si les musulmanes de Sciences Po portent le voile par choix, qu'on les laisse en paix. Pour les autres étudiantes, qu'elles ne prétendent pas porter le Hijab. C'est à mon sens insultant pour les musulmans et pour les non musulmans. C'est transgressif et stupide.
Au lecteur qui voudra me traiter d'islamophobe, qu'il cesse d'être de mauvaise foi car tel n'est pas mon propos. La tolérance est une valeur que je défends comme le droit au respect. Ces étudiantes qui se couvrent les cheveux au nom de la liberté des femmes aujourd'hui manifesteront demain parce que les filles en minijupe se font héler dans la rue. Elles ne comprennent même pas qu'en portant le Hijab en dehors d'un cadre religieux bien défini, elles donnent raison à ceux qui samedi soir les traiteront de "salopes" quand elles sortiront de boîte de nuit court vêtue.
Alors mesdemoiselles de Sciences Po, soyez cohérentes ! La liberté, l'égalité, c'est accepter l'autre dans sa différence, pas singer ses pratiques. C'est s'ouvrir à la culture de l'autre, pas jouer à faire semblant d'être l'autre le temps d'une journée.
Je ne fustige pas le port du Hijab pour les musulmanes, je dénonce le port du Hijab pour les non musulmanes. Cette initiative relève de la provocation. C'est idiot, c'est mettre le feu aux poudres, c'est tendre le bâton pour se faire battre parce que celles qui pâtiront de cette initiative, ce ne sont pas les parisiennes qui une fois leur hijab d'un jour enlevé iront défiler seins nus avec les femens, ce sont les filles de banlieue, celles qui sont contraintes et qui n'ont pas forcément le choix. Eh oui, de ces filles, j'en ai connu et j'en connais encore. Pensez aussi à ces Egyptiennes qui sont obligées de s'exiler suite au Printemps arabe parce qu'elles ont montrer leur corps au nom de la liberté. Par respect pour elles qui risquent leur vie pour de vrai, ne jouez pas avec des symboles qui vous dépassent.
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